Amérique latine : éducation et pandémie
Nos deux associations, Amiguitos et Bailando Juntos, ont pour objet de lutter principalement contre la malnutrition des enfants de moins de 12 ans. On sait en effet que les enfants malnutris souffrent de séquelles physiques et intellectuelles irrémédiables qui les handicapent à vie, quoique l’on fasse par la suite. Les nourrir aujourd’hui, c’est leur permettre demain de faire des études, de travailler, de mener une vie digne. Néanmoins, nos associations ne se sont jamais totalement désintéressées de l’éducation des enfants qui fréquentent nos centres. Par exemple, le centre El Refugio accueille des enfants en pensionnat, et se charge à ce titre, en plus de leur nourriture, du suivi éducatif des enfants jusqu’à ce qu’ils arrêtent leurs études. De même, un fond spécial a été créé au sein du centre Maria Auxiliadora pour subventionner l’achat d’uniformes pour que les enfants puissent aller à l’école.
L’impact de la pandémie sur la scolarisation des enfants
La crise du Covid a particulièrement touché les parcours scolaires des enfants pauvres en Amérique latine. Au 24 mars 2021, selon les estimations de l’UNICEF, les fermetures totales ou partielles d’écoles en Amérique latine et dans les Caraïbes auront privé environ 114 millions d’élèves d’un enseignement présentiel. Un an après le début de la pandémie, l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC) sont restées la région du monde où le plus grand nombre d’enfants ne bénéficient toujours pas de cours en présentiel. En moyenne, les enfants de cette région ont perdu 158 jours d’école en présentiel.
Malgré les efforts des gouvernements pour assurer la continuité de l’enseignement à distance par le biais de plateformes virtuelles, de la radio et de la télévision, les perturbations scolaires ont eu un impact catastrophique sur les résultats d’apprentissage des élèves, leur protection, leur santé, leur santé mentale et leurs perspectives socio-économiques. Plus les enfants restent longtemps hors de l’école, moins ils ont de chances d’y retourner. On estime que plus de 3 millions d’enfants de la région ALC pourraient abandonner définitivement l’école à cause de la pandémie.
Dans une région où, avant la COVID-19, de nombreux élèves n’atteignent pas les niveaux de base en mathématiques, en lecture et en écriture à l’école primaire et au collège, l’impact d’une interruption prolongée de la scolarité sur les résultats d’apprentissage sera grave et durable.
Les effets du COVID-19 sur le taux d’illettrisme
Selon une étude de l’UNESCO, le nombre d’enfants ne possédant pas les compétences de base en lecture, qui était sur une courbe descendante avant la pandémie, aurait dû ainsi passer de 483 millions à 460 millions en 2020. Au lieu de cela, le nombre d’enfants en difficulté a bondi à 584 millions l’an dernier, augmentant de plus de 20 % et effaçant les progrès réalisés au cours de ces deux dernières décennies. Pour l’Amérique latine et les Caraïbes, selon un rapport de la Banque mondiale, 71 % des élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire ne sont pas en mesure de comprendre un texte de longueur moyenne. Avant la pandémie, ce chiffre était de 55 %.
L’étude de l’UNESCO indique que si un retour à la situation ayant précédé la pandémie pourrait prendre une décennie, la reprise pourrait intervenir toutefois d’ici 2024 à condition que des efforts exceptionnels soient déployés pour proposer des cours et des stratégies de rattrapage. Cependant, selon les nouvelles données d’une enquête conjointe menée par l’UNESCO et l’UNICEF, seul un quart des élèves bénéficient à ce jour de tels programmes de remise à niveau.
Plus que des chiffres, il nous a semblé intéressant de demander à des responsables de centres comment elles et les familles se sont adaptées à cette situation.
Témoignage de Marina : Comment El Refugio a dû s’adapter pour que les enfants poursuivent leur éducation
“Les écoles ont été fermées au mois d’avril 2020 et les familles de tous les élèves ont commencé à se former pour débuter dans la virtualité (c’était un nouveau sujet pour nous tous) : apprendre à gérer les plateformes, les e-mails et une autre façon d’enseigner.
Nous avions renvoyé tous les enfants dans leurs familles par précaution. A cette époque, le panorama de la pandémie était très incertain et nous ressentions la peur que certains des enfants soient infectés à la maison. Les vacances de mi-année ont été avancées dans les écoles et pendant ce temps, les enseignants ont été formés pour faire face à l’éducation virtuelle.
Au mois de mai, les enfants commencent les classes virtuelles. Nous commençons à travailler avec les enfants à travers la plateforme Wasa depuis leur domicile. Je passais en revue toutes les activités de chacun des enfants sur la plateforme, et par téléphone ou via Wasa, je leur expliquais leurs devoirs. Ensuite, ils m’envoyaient des photos de leurs cahiers et je les transmettais à l’école.
Nous avons pu obtenir des ressources et nous avons pu obtenir trois téléphones portables pour les adolescents afin que nous puissions travailler avec eux.
Avec votre aide, avec l’argent que vous nous envoyez tous les trois mois, nous avons réussi à nourrir les enfants et leurs familles. Beaucoup d’entre eux se sont retrouvés sans travail. Et notre plus grande préoccupation était que nos enfants n’aient pas faim. Donc, Dieu merci, il était possible de leur envoyer un marché tous les 15 jours, et les aider au paiement du loyer et des charges.
Les téléphones portables ont également été chargés d’ici pour étudier avec eux. Ce furent des mois très durs, étudier à distance avec les 14 enfants était un travail ardu et dur. Nous avons également aidé les petits frères des enfants à étudier. Mais Dieu merci, nous l’avons fait et de loin, nous avons terminé 2020 avec tous les enfants qui ont réussi l’année, et avec notre étudiante la plus âgée qui a terminé son lycée.
Nous recommençons 2021 avec une éducation 100 % virtuelle. Nous avons donc décidé d’accueillir les enfants au Refuge, et pour ne pas courir le risque de contagion nous avons fait le test Covid en entrant (ils sont tous sortis négatifs) et nous sommes restés ici avec eux tout le premier semestre, sans sortir le week-end, sans voir leurs familles.
Ici, personne n’est entré ou sorti de la maison par précaution. Ce fût quelques mois très spéciaux et merveilleux de se retrouver après une si longue période… Grâce à des amis, une entreprise nous a fait don de 10 ordinateurs d’occasion, les a installés ; ainsi les enfants ont pu se connecter aux classes virtuelles d’ici. C’était plus facile ainsi d’étudier avec eux.
En vacances de milieu d’année (juin 2021), nous avons pensé qu’il était sage pour eux de rencontrer leur famille et nous les avons renvoyés chez eux pour deux semaines. Une fois de retour, il y avait moins de risques de contagion et la vaccination avait avancé. Alors tout le monde est revenu, les écoles ont ouvert leurs portes en présentiel et nos enfants ont aussi repris le chemin de l’école.
Ce que la pandémie nous a laissé au niveau éducatif : en général, tous ont un faible niveau de connaissances dans certaines matières. Donc, pendant ce temps, nous étudions dur, renforçant en eux toutes les connaissances académiques qui leur manquent. Au niveau de l’adaptation à la rentrée ce n’était pas si difficile, tout le monde s’est adapté relativement facilement. Maintenant, ils étudient tous dans les écoles qui les soutiennent.”
Témoignage du Père Oscar
« En 2020 en Bolivie, les écoles étaient fermées, cependant tous les enfants sont passés dans la classe supérieure suivant la décision du gouvernement ; mais du coup ils n’ont pas le niveau nécessaire pour bien suivre leur scolarité cette année.
En 2021 le gouvernement a décidé d’instaurer les classes virtuelles, ou dans certains cas, les cours en semi-présentiel. Ici dans le quartier, les classes virtuelles n’ont pas eu de succès étant donné que les familles n’ont que peu, ou pas, d’accès à Internet ; pour la plupart, elles n’ont même pas d’ordinateur ou de téléphone portable. Certaines ont essayé d’obtenir un téléphone afin que leurs enfants puissent suivre leurs cours en passant par Zoom ou Meet, mais les parents étaient démunis devant la tâche scolaire et ont demandé le retour à la classe en présentiel. Ils n’ont obtenu qu’un retour en semi présentiel, c’est-à-dire que les enfants allaient trois jours par semaine en cours et suivaient des cours virtuels quand ils le pouvaient.
Cette solution a entraîné une reprise de l’épidémie parmi les enfants et les professeurs, et certains de ces derniers sont morts. Bien que le ministère de l’éducation exige de suivre les normes strictes d’hygiène et les gestes barrière, malheureusement beaucoup d’adultes et d’enfants ne les respectent pas et la troisième vague de Covid a été violente ici ; nous déplorons le décès de membres de certaines familles du quartier. Depuis septembre l’école reprend un rythme plus normal et la pandémie recule. Mais nous savons que nous ne sommes pas à l’abri d’une quatrième vague. »
Bilan de la situation
Ces témoignages nous montrent qu’il est nécessaire de tout faire pour limiter les abandons de scolarité et les pertes d’apprentissage des enfants, et ainsi essayer d’éviter une « catastrophe générationnelle ». Pour cela, il convient de donner la priorité à l’instruction lors de la reprise, mais on estime que 65 % des gouvernements des pays à faible revenu ont réduit le financement de l’éducation, contre 35 % dans les pays à revenu élevé.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, la COVID-19 a privé 97 % des étudiants de la poursuite de leur éducation habituelle durant près d’une année. Cela signifie qu’environ 137 millions de filles et de garçons n’ont eu aucune éducation en présentiel. Aux déficits scolaires sur les compétences de base qui auront des effets prolongés, s’ajoute une augmentation prévue de 15 % des abandons scolaires alors que la région ALC enregistrait, avant même la pandémie, les plus grandes inégalités au monde en termes d’accès des élèves à une éducation de qualité.
En reprenant les mots d’Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO : « La crise a montré à quel point l’éducation est un bien public mondial ; il faut la protéger. ». En 2020, 1,6 milliard d’enfants dans le monde étaient touchés par les fermetures d’écoles. Quelque dix-huit mois plus tard, en août 2021, ils sont encore 600 millions sur cinq enfants qui ont perdu une année scolaire complète dans le monde, trois vivent dans les régions d’Amérique latine et des Caraïbes. Au Mexique, les écoles ont même fermé dès le 23 mars 2020 et n’ont jamais rouvert depuis !
Le bilan est sombre et nous nous devons de réagir avec tous les membres de nos centres !